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L'ardoisière

L'enfant sauvage sur Spotify - Argumentation sur les pratiques numériques (2/2)

Publié le 11/11/2024

parphilomenelardoisière ,
Dall-E
Dall-E
Ces dernières années, on a beaucoup entendu parler des nouvelles technologies et de leurs impacts sur nos sociétés.
Le mot « technologie » désigne l’ensemble des techniques de pointe ayant trait à l’informatique, à la robotique et à l’intelligence artificielle. On les dit nouvelles car elles ont chaque année des capacités de calcul et de stockage plus puissantes, se perfectionnant sans cesse. Pourtant, ce domaine n’a plus rien de nouveau. Il est le résultat d’un processus entamé depuis près de deux décennies. En 2007, iPhone sort le premier smartphone. Sa particularité : comporter seulement un écran tactile et proposer des fonctionnalités bien plus variées que celles de téléphoner et d’envoyer des messages. C’est le début de la révolution du tactile qui rend cet outil incontournable en le propulsant comme l’équipement le plus utilisé devant l’ordinateur.
Selon le sondage « Baromètre du Numérique » réalisé par le CREDOC [Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie] en 2022, 87% des Français possédaient un smartphone. Selon ce même questionnaire actualisé en 2024, parmi les Français détenteurs de smartphones, 96% ont entre 12 et 17 ans. Pourtant, on estime que l’accès à un mobile personnel se situe aux alentours de 9 ans. Ces chiffres montrent bien à quelle vitesse l’usage de cet outil technologique s’est répandu, et ce y compris chez les enfants.
Cela nous amène à nous poser la question suivante : le smartphone apparait-il comme une chance ou un danger pour la jeune génération ? Tout d’abord, on s’intéressera aux atouts évidents du smartphone. Puis, on montrera les dangers qui en découlent, pour enfin nous questionner sur les enjeux soulevés par son usage.
                                 L'être humain ne naît pas fini : il est dépendant de son environnement social et de l’éducation pour développer ses facultés. En effet, l'étymologie du mot « éduquer », du latin educare signifiant « élever », « nourrir » ou « instruire » souligne ce rôle indispensable de l’accompagnement pour permettre à chaque individu de s’épanouir, aussi bien sur le plan moral, qu’intellectuel ou physique. La néoténie, cette capacité propre aux humains de continuer à se développer après la naissance, rend cet apprentissage essentiel. L’être humain se construit ainsi tout au long de sa vie dans l’interaction avec la société, qui lui donne accès au langage et aux savoirs. À ce niveau, le smartphone apparaît comme un moyen parmi d’autres.
Aujourd’hui, le smartphone est bien plus qu’un simple outil de communication, c’est un appareil avec lequel on peut quasiment tout faire. De ce fait, sur le plan éducatif, l’usage du smartphone est un véritable atout. En effet, il peut être un moyen pour l’enseignant d’expliciter, de transmettre une matière ou une notion plus compliquée sous une forme différente que celle du cours magistral dont nous avons l’habitude. Nous avons tous en tête les fameuses capsules de C'est Pas Sorcier, initialement diffusées à la télévision et désormais disponibles sur YouTube. La chaîne, cumulant près de 490 millions de vues, aborde une multitude de sujets de manière ludique et pédagogique. Avec l’essor des smartphones, ces vidéos sont désormais facilement accessibles aux jeunes, qui peuvent les visionner n'importe où et à tout moment. Avec l’essor du numérique, de nombreuses autres chaînes dites « éducatives » ont vu le jour, couvrant une grande variété de matières. Par exemple, Yvan Monka rend les mathématiques accessibles, Paul Olivier vulgarise la physique-chimie, et Sciences’Nat permet de découvrir les sciences naturelles. Cette diversité de contenu permet aux jeunes de compléter leur apprentissage scolaire de manière autonome et souvent plus engageante.
Des applications comme Duolingo pour les langues, Geogebra pour les mathématiques et la géométrie, ou encore Kahoot! et Quizlet pour des révisions interactives et des quiz rendent l’apprentissage plus attrayant et immersif. Ces outils permettent aux jeunes de travailler, réviser ou découvrir des matières de manière ludique, souvent à leur propre rythme et de façon engageante. De plus, de nombreux enseignants intègrent aujourd’hui ces applications dans leur pédagogie pour renforcer la compréhension des notions abordées en cours, en rendant l'apprentissage plus stimulant et collaboratif.
 Avant même d’être un support éducatif, le smartphone est avant tout un outil de communication. Il permet aux jeunes de rester connectés avec leurs proches, qu’ils soient de la même école ou à des kilomètres de distance. Grâce aux réseaux sociaux, ils peuvent partager leurs centres d’intérêt, découvrir d’autres cultures, et renforcer leurs liens amicaux. Selon une étude de l’Institut Ipsos réalisée en 2022, près de 73 % des jeunes entre 12 et 18 ans considèrent que le smartphone est essentiel pour entretenir des relations sociales et exprimer leur personnalité. Cette connexion permanente est un moyen de renforcer leur identité et de se sentir intégrés au sein de leur groupe.
De plus, le smartphone est également un atout pour favoriser la collaboration entre pairs pour des projets scolaires. Par exemple, les groupes de discussion sur des plateformes comme WhatsApp ou Discord permettent aux jeunes de travailler ensemble, de partager des idées et de s’entraider, favorisant ainsi leur autonomie et leur sens de la coopération.
Enfin, grâce à l’accessibilité de l’information, le smartphone peut également contribuer au développement de l’esprit critique des jeunes. En ayant accès à une diversité de sources et d’opinions, ils apprennent à comparer les informations, à remettre en question ce qu’ils lisent, et à développer leur propre point de vue. L’éducation aux médias est cruciale dans ce domaine. Les jeunes sont souvent sensibilisés aux fake news et aux informations biaisées, grâce à des programmes scolaires intégrant ces thématiques ou des interventions sur ces sujets.
Pourtant, il me paraît important de préciser que cet outil technologique et les contenus qui y sont proposés ne sont pas si inoffensifs que ce que l’on veut nous faire croire.
                                 Si le smartphone présente indéniablement de nombreux avantages, son usage n’est pas sans risques, notamment pour la santé physique et mentale des jeunes. L’omniprésence de cet outil technologique soulève plusieurs questions sur ses impacts à long terme. Entre dépendance numérique, effets sur le développement social et psychologique, et exposition à des contenus nuisibles, le smartphone peut devenir un danger si son usage n’est pas encadré. De plus, l’accès constant à Internet et aux réseaux sociaux amplifie certains risques, notamment en termes de sécurité en ligne et de bien-être émotionnel. Le rôle des chercheurs en neurosciences, souvent mis au service des industries numériques, soulève également des questions éthiques sur la manipulation des comportements des jeunes.
L’une des préoccupations majeures concernant l’utilisation du smartphone chez les jeunes est son effet sur la santé mentale. D’un point de vue strictement scientifique (étude menée en 2020 par l’OMS [Organisation Mondiale de la Santé]) l’utilisation excessive des écrans, notamment des smartphones, peut provoquer des troubles du sommeil, de l’anxiété et de la dépression chez les adolescents. En effet, l’exposition prolongée à la lumière bleue des écrans perturbe la production de mélatonine, une hormone régulant le sommeil, ce qui peut entraîner des insomnies. Le smartphone, en tant qu’outil d’accès constant aux réseaux sociaux, peut également exacerber des sentiments de solitude et de stress. L’anxiété liée à la « peur de rater quelque chose » aussi connu sous le nom de syndrome FOMO [Fear of Missing Out] est un phénomène particulièrement répandu parmi les jeunes. Ce stress lié à l’idée de ne pas être constamment connectés ou de manquer des événements sociaux virtuels peut entraîner une détérioration de l’estime de soi et des troubles émotionnels, comme la dépression.
Une enquête réalisée par Born Social en 2020 révèle d’ailleurs un paradoxe : bien que l’accès aux réseaux sociaux soit interdit aux moins de 13 ans, des applications comme Instagram, TikTok ou Snapchat sont largement utilisées par les 11-12 ans. Les jeunes parviennent facilement à contourner ces restrictions, ce qui soulève une incohérence importante. Ces plateformes, qui sont censées être interdites à ce public, sont en réalité utilisées quotidiennement par des enfants de cet âge, souvent sans que leurs parents ne soient pleinement conscients de la portée de ces outils numériques. Cela accentue le risque d’exposition à des contenus inappropriés et de manipulation psychologique, car les jeunes n’ont pas toujours les capacités nécessaires pour maîtriser les enjeux liés à leur présence en ligne.
L'un des dangers de l'utilisation des smartphones réside également dans l'exposition des jeunes à des contenus inappropriés, notamment pornographiques ou violents. L'accès facile à ces contenus peut entraîner des conséquences graves en modifiant leur perception de la sexualité, des relations interpersonnelles et de la violence. Selon l'Arcom [Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique], 30% des internautes consultant des sites pornographiques sont des mineurs, soit 2,3 millions de jeunes, qui y passent en moyenne plus de 50 minutes par mois. Cette exposition engendre des effets non-négligeables sur leur bien-être psychologique et leur comportement, bien que ces impacts soient souvent sous-estimés.
Un autre enjeu majeur réside dans la gestion de l'économie de l'attention, un concept central dans le développement des technologies numériques. Les smartphones et les réseaux sociaux sont conçus pour capter et maintenir l'attention des utilisateurs de manière optimale, en utilisant des mécanismes de récompense puissants, comme la libération de dopamine, un neurotransmetteur lié au plaisir et à la récompense. Chaque notification, chaque interaction déclenche une petite sécrétion de ce neurotransmetteur, ce qui engendre une sensation de satisfaction instantanée et renforce l’envie de continuer à interagir avec l’écran. Cela crée une forme de dépendance comportementale, surtout chez les jeunes, dont le cerveau est encore en développement et particulièrement sensible à ces stimulations. Ce mécanisme de gratification immédiate est au cœur de la dépendance numérique, mais il engendre aussi des risques pour le développement cognitif et social des jeunes. Le smartphone devient alors non seulement un outil de communication et de distraction, mais aussi une forme de « baby-sitter » numérique, utilisé par de nombreux parents comme un moyen de garantir une pseudo tranquillité des enfants, ce qui leur permet ainsi de poursuivre leurs obligations professionnelles par exemple. Ainsi, la dépendance numérique devient une sorte de réponse à la distorsion de l’espace-temps, où les jeunes sont continuellement sollicités par des écrans qui modifient leur rapport à la réalité et à leurs propres émotions.
                                 Face aux dangers que représente l'utilisation des smartphones pour la jeune génération, plusieurs enjeux se posent quant à leur encadrement, leur régulation et leur impact à long terme. Au-delà des risques pour la santé mentale et physique, le smartphone soulève des questions sociétales plus larges : quel équilibre trouver entre les bénéfices éducatifs et les risques liés à son usage ? Comment assurer une utilisation saine et sécurisée tout en permettant aux jeunes de profiter des avantages qu’offre cette technologie ?
Les premiers enjeux portent sur la nécessité d’une régulation plus stricte de l’usage des smartphones et des réseaux sociaux. Bien que des lois existent pour encadrer leur usage (comme l’interdiction de l’accès aux réseaux sociaux avant 13 ans), la réalité est bien différente, comme on a pu l’évoquer précédemment avec l’enquête réalisée par Born Social. Cette incohérence entre les règles et la pratique est un problème majeur qui nécessite une réponse plus ferme de la part des autorités, tant sur le plan de la réglementation que de la mise en place d’outils de contrôle parental plus efficaces. Les plateformes numériques doivent également être plus transparentes dans leurs pratiques, en informant mieux les utilisateurs (et notamment les jeunes) sur les risques liés à leur utilisation. Des dispositifs comme des notifications d’alerte ou des limites d’utilisation par défaut pourraient contribuer à limiter les effets néfastes de l'exposition excessive aux écrans et au contenu inapproprié.
Les parents et les éducateurs ont également un rôle clé à jouer. Il est crucial que les adultes prennent conscience de leur grande responsabilité dans l’encadrement de l’utilisation des smartphones par les jeunes. En donnant accès à ces technologies, ils placent entre les mains des enfants une forme de responsabilité qui peut être difficile à porter. Il est donc impératif que les adultes soient conscients des risques et des conséquences d'une exposition excessive aux écrans, et qu'ils s'engagent à guider et à superviser les usages numériques des plus jeunes. En ce sens, il est absolument nécessaire de réintroduire de l'interdit et de fixer des limites strictes (. Trop souvent, la technologie est perçue comme un fait acquis, et les enfants se retrouvent plongés dans un univers numérique saturé de contenus inadaptés à leur âge.
 Il est vertigineux de constater que les créateurs des technologies et des applications qui dominent nos vies semblent déterminés à les tenir à l'écart de leurs propres enfants. Steve Jobs, le fondateur d'Apple, par exemple, était connu pour limiter l'accès de ses enfants à l'iPad et à d’autres technologies qu'il avait lui-même développées. Cette prise de distance témoigne d’une prise de conscience tacite des risques liés à une exposition excessive aux écrans, même pour les jeunes générations
 Ainsi, au-delà des actions immédiates visant à limiter le temps passé sur les écrans et à protéger les jeunes des contenus nuisibles, il est nécessaire de mettre en place une régulation proactive des technologies numériques. Cela implique une coopération entre les gouvernements, les entreprises technologiques, les parents et les éducateurs pour garantir que les technologies soient utilisées de manière équilibrée et bénéfique.
                                 En conclusion, le smartphone pour les jeunes générations représente un enjeu sanitaire et social majeur. Métaphoriquement, les contenus proposés sur les smartphones peuvent être comparés à des friandises : séduisants et faciles d’accès, mais en aucun cas essentiels à une alimentation saine et équilibrée. Or, tout comme un organisme a besoin de nutrition équilibrée pour se développer correctement, les jeunes doivent apprendre à consommer ces technologies de manière réfléchie. La friandise numérique se doit donc d’être exceptionnelle, et non un apport constant. Il est impératif de réintroduire des limites, tant qualitatives que quantitatives, sur l’utilisation des smartphones. Les adultes ont la responsabilité de guider les jeunes dans un usage équilibré, tout en prenant conscience des dangers associés à une exposition excessive. Le smartphone peut être un atout précieux, mais son impact dépend de la manière dont nous, en tant que société, choisissons de l’encadrer.
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