Ces dernières années, on a beaucoup
entendu parler des nouvelles technologies et de leurs impacts sur nos sociétés.
Le mot « technologie »
désigne l’ensemble des techniques de pointe ayant trait à l’informatique, à la
robotique et à l’intelligence artificielle. On les dit nouvelles car elles ont
chaque année des capacités de calcul et de stockage plus puissantes, se
perfectionnant sans cesse. Pourtant, ce domaine n’a plus rien de nouveau. Il
est le résultat d’un processus entamé depuis près de deux décennies. En 2007,
iPhone sort le premier smartphone. Sa particularité : comporter seulement
un écran tactile et proposer des fonctionnalités bien plus variées que celles
de téléphoner et d’envoyer des messages. C’est le début de la révolution du
tactile qui rend cet outil incontournable en le propulsant comme l’équipement
le plus utilisé devant l’ordinateur.
Selon le sondage « Baromètre du
Numérique » réalisé par le CREDOC [Centre de Recherche pour l’Étude et
l’Observation des Conditions de Vie] en 2022, 87% des Français possédaient un
smartphone. Selon ce même questionnaire actualisé en 2024, parmi les Français
détenteurs de smartphones, 96% ont entre 12 et 17 ans. Pourtant, on estime que
l’accès à un mobile personnel se situe aux alentours de 9 ans. Ces chiffres
montrent bien à quelle vitesse l’usage de cet outil technologique s’est
répandu, et ce y compris chez les enfants.
Cela nous amène à nous poser la
question suivante : le smartphone apparait-il comme une chance ou un
danger pour la jeune génération ? Tout d’abord, on s’intéressera aux
atouts évidents du smartphone. Puis, on montrera les dangers qui en découlent,
pour enfin nous questionner sur les enjeux soulevés par son usage.
L'être
humain ne naît pas fini : il est dépendant de son environnement social et de
l’éducation pour développer ses facultés. En effet, l'étymologie du mot « éduquer »,
du latin educare signifiant « élever », « nourrir » ou « instruire »
souligne ce rôle indispensable de l’accompagnement pour permettre à chaque
individu de s’épanouir, aussi bien sur le plan moral, qu’intellectuel ou physique.
La néoténie, cette capacité propre aux humains de continuer à se développer
après la naissance, rend cet apprentissage essentiel. L’être humain se
construit ainsi tout au long de sa vie dans l’interaction avec la société, qui
lui donne accès au langage et aux savoirs. À ce niveau, le smartphone apparaît
comme un moyen parmi d’autres.
Aujourd’hui,
le smartphone est bien plus qu’un simple outil de communication, c’est un
appareil avec lequel on peut quasiment tout faire. De ce fait, sur le plan
éducatif, l’usage du smartphone est un véritable atout. En effet, il peut être
un moyen pour l’enseignant d’expliciter, de transmettre une matière ou une
notion plus compliquée sous une forme différente que celle du cours magistral
dont nous avons l’habitude. Nous avons tous en tête les fameuses capsules de C'est
Pas Sorcier, initialement diffusées à la télévision et désormais
disponibles sur YouTube. La chaîne, cumulant près de 490 millions de vues,
aborde une multitude de sujets de manière ludique et pédagogique. Avec l’essor
des smartphones, ces vidéos sont désormais facilement accessibles aux jeunes,
qui peuvent les visionner n'importe où et à tout moment. Avec l’essor du
numérique, de nombreuses autres chaînes dites « éducatives » ont vu le jour,
couvrant une grande variété de matières. Par exemple, Yvan Monka rend
les mathématiques accessibles, Paul Olivier vulgarise la
physique-chimie, et Sciences’Nat permet de découvrir les sciences
naturelles. Cette diversité de contenu permet aux jeunes de compléter leur
apprentissage scolaire de manière autonome et souvent plus engageante.
Des applications comme Duolingo
pour les langues, Geogebra pour les mathématiques et la géométrie, ou
encore Kahoot! et Quizlet pour des révisions interactives et des
quiz rendent l’apprentissage plus attrayant et immersif. Ces outils permettent
aux jeunes de travailler, réviser ou découvrir des matières de manière ludique,
souvent à leur propre rythme et de façon engageante. De plus, de nombreux
enseignants intègrent aujourd’hui ces applications dans leur pédagogie pour
renforcer la compréhension des notions abordées en cours, en rendant
l'apprentissage plus stimulant et collaboratif.
Avant même
d’être un support éducatif, le smartphone est avant tout un outil de
communication. Il permet aux jeunes de rester connectés avec leurs proches,
qu’ils soient de la même école ou à des kilomètres de distance. Grâce aux
réseaux sociaux, ils peuvent partager leurs centres d’intérêt, découvrir
d’autres cultures, et renforcer leurs liens amicaux. Selon une étude de
l’Institut Ipsos réalisée en 2022, près de 73 % des jeunes entre 12 et 18 ans
considèrent que le smartphone est essentiel pour entretenir des relations
sociales et exprimer leur personnalité. Cette connexion permanente est un moyen
de renforcer leur identité et de se sentir intégrés au sein de leur groupe.
De plus, le
smartphone est également un atout pour favoriser la collaboration entre pairs
pour des projets scolaires. Par exemple, les groupes de discussion sur des
plateformes comme WhatsApp ou Discord permettent aux jeunes de
travailler ensemble, de partager des idées et de s’entraider, favorisant ainsi
leur autonomie et leur sens de la coopération.
Enfin, grâce à
l’accessibilité de l’information, le smartphone peut également contribuer au
développement de l’esprit critique des jeunes. En ayant accès à une diversité
de sources et d’opinions, ils apprennent à comparer les informations, à
remettre en question ce qu’ils lisent, et à développer leur propre point de
vue. L’éducation aux médias est cruciale dans ce domaine. Les jeunes sont
souvent sensibilisés aux fake news et aux informations biaisées, grâce à
des programmes scolaires intégrant ces thématiques ou des interventions sur ces
sujets.
Pourtant, il me paraît important de
préciser que cet outil technologique et les contenus qui y sont proposés ne
sont pas si inoffensifs que ce que l’on veut nous faire croire.
Si le
smartphone présente indéniablement de nombreux avantages, son usage n’est pas
sans risques, notamment pour la santé physique et mentale des jeunes.
L’omniprésence de cet outil technologique soulève plusieurs questions sur ses
impacts à long terme. Entre dépendance numérique, effets sur le développement
social et psychologique, et exposition à des contenus nuisibles, le smartphone
peut devenir un danger si son usage n’est pas encadré. De plus, l’accès
constant à Internet et aux réseaux sociaux amplifie certains risques, notamment
en termes de sécurité en ligne et de bien-être émotionnel. Le rôle des
chercheurs en neurosciences, souvent mis au service des industries numériques,
soulève également des questions éthiques sur la manipulation des comportements
des jeunes.
L’une des
préoccupations majeures concernant l’utilisation du smartphone chez les jeunes
est son effet sur la santé mentale. D’un point de vue strictement scientifique
(étude menée en 2020 par l’OMS [Organisation Mondiale de la Santé]) l’utilisation
excessive des écrans, notamment des smartphones, peut provoquer des troubles du
sommeil, de l’anxiété et de la dépression chez les adolescents. En effet,
l’exposition prolongée à la lumière bleue des écrans perturbe la production de
mélatonine, une hormone régulant le sommeil, ce qui peut entraîner des
insomnies. Le smartphone, en tant qu’outil d’accès constant aux réseaux
sociaux, peut également exacerber des sentiments de solitude et de stress.
L’anxiété liée à la « peur de rater quelque chose » aussi connu sous le nom de
syndrome FOMO [Fear of Missing Out] est un phénomène particulièrement répandu
parmi les jeunes. Ce stress lié à l’idée de ne pas être constamment connectés
ou de manquer des événements sociaux virtuels peut entraîner une détérioration
de l’estime de soi et des troubles émotionnels, comme la dépression.
Une enquête
réalisée par Born Social en 2020 révèle d’ailleurs un paradoxe : bien que
l’accès aux réseaux sociaux soit interdit aux moins de 13 ans, des applications
comme Instagram, TikTok ou Snapchat sont largement utilisées par les 11-12 ans.
Les jeunes parviennent facilement à contourner ces restrictions, ce qui soulève
une incohérence importante. Ces plateformes, qui sont censées être interdites à
ce public, sont en réalité utilisées quotidiennement par des enfants de cet
âge, souvent sans que leurs parents ne soient pleinement conscients de la
portée de ces outils numériques. Cela accentue le risque d’exposition à des
contenus inappropriés et de manipulation psychologique, car les jeunes n’ont
pas toujours les capacités nécessaires pour maîtriser les enjeux liés à leur
présence en ligne.
L'un des
dangers de l'utilisation des smartphones réside également dans l'exposition des
jeunes à des contenus inappropriés, notamment pornographiques ou violents.
L'accès facile à ces contenus peut entraîner des conséquences graves en
modifiant leur perception de la sexualité, des relations interpersonnelles et
de la violence. Selon l'Arcom [Autorité de régulation de la communication
audiovisuelle et numérique], 30% des internautes consultant des sites
pornographiques sont des mineurs, soit 2,3 millions de jeunes, qui y passent en
moyenne plus de 50 minutes par mois. Cette exposition engendre des effets non-négligeables
sur leur bien-être psychologique et leur comportement, bien que ces impacts
soient souvent sous-estimés.
Un autre enjeu
majeur réside dans la gestion de l'économie de l'attention, un concept
central dans le développement des technologies numériques. Les smartphones et
les réseaux sociaux sont conçus pour capter et maintenir l'attention des
utilisateurs de manière optimale, en utilisant des mécanismes de récompense
puissants, comme la libération de dopamine, un neurotransmetteur lié au plaisir
et à la récompense. Chaque notification, chaque interaction déclenche une
petite sécrétion de ce neurotransmetteur, ce qui engendre une sensation de
satisfaction instantanée et renforce l’envie de continuer à interagir avec
l’écran. Cela crée une forme de dépendance comportementale, surtout chez les
jeunes, dont le cerveau est encore en développement et particulièrement
sensible à ces stimulations. Ce mécanisme de gratification immédiate est au
cœur de la dépendance numérique, mais il engendre aussi des risques pour le
développement cognitif et social des jeunes. Le smartphone devient alors non
seulement un outil de communication et de distraction, mais aussi une forme de
« baby-sitter » numérique, utilisé par de nombreux parents comme un moyen de
garantir une pseudo tranquillité des enfants, ce qui leur permet ainsi de poursuivre
leurs obligations professionnelles par exemple. Ainsi, la dépendance numérique
devient une sorte de réponse à la distorsion de l’espace-temps, où les jeunes
sont continuellement sollicités par des écrans qui modifient leur rapport à la
réalité et à leurs propres émotions.
Face aux
dangers que représente l'utilisation des smartphones pour la jeune génération,
plusieurs enjeux se posent quant à leur encadrement, leur régulation et leur
impact à long terme. Au-delà des risques pour la santé mentale et physique, le
smartphone soulève des questions sociétales plus larges : quel équilibre
trouver entre les bénéfices éducatifs et les risques liés à son usage ? Comment
assurer une utilisation saine et sécurisée tout en permettant aux jeunes de
profiter des avantages qu’offre cette technologie ?
Les premiers
enjeux portent sur la nécessité d’une régulation plus stricte de l’usage des
smartphones et des réseaux sociaux. Bien que des lois existent pour encadrer
leur usage (comme l’interdiction de l’accès aux réseaux sociaux avant 13 ans),
la réalité est bien différente, comme on a pu l’évoquer précédemment avec l’enquête
réalisée par Born Social. Cette incohérence entre les règles et la
pratique est un problème majeur qui nécessite une réponse plus ferme de la part
des autorités, tant sur le plan de la réglementation que de la mise en place
d’outils de contrôle parental plus efficaces. Les plateformes numériques
doivent également être plus transparentes dans leurs pratiques, en informant
mieux les utilisateurs (et notamment les jeunes) sur les risques liés à leur
utilisation. Des dispositifs comme des notifications d’alerte ou des limites
d’utilisation par défaut pourraient contribuer à limiter les effets néfastes de
l'exposition excessive aux écrans et au contenu inapproprié.
Les parents et
les éducateurs ont également un rôle clé à jouer. Il est crucial que les
adultes prennent conscience de leur grande responsabilité dans l’encadrement de
l’utilisation des smartphones par les jeunes. En donnant accès à ces
technologies, ils placent entre les mains des enfants une forme de
responsabilité qui peut être difficile à porter. Il est donc impératif que les
adultes soient conscients des risques et des conséquences d'une exposition
excessive aux écrans, et qu'ils s'engagent à guider et à superviser les usages
numériques des plus jeunes. En ce sens, il est absolument nécessaire de
réintroduire de l'interdit et de fixer des limites strictes (. Trop souvent, la
technologie est perçue comme un fait acquis, et les enfants se retrouvent
plongés dans un univers numérique saturé de contenus inadaptés à leur âge.
Il est
vertigineux de constater que les créateurs des technologies et des applications
qui dominent nos vies semblent déterminés à les tenir à l'écart de leurs
propres enfants. Steve Jobs, le fondateur d'Apple, par exemple, était connu
pour limiter l'accès de ses enfants à l'iPad et à d’autres technologies qu'il
avait lui-même développées. Cette prise de distance témoigne d’une prise de
conscience tacite des risques liés à une exposition excessive aux écrans, même
pour les jeunes générations
Ainsi, au-delà
des actions immédiates visant à limiter le temps passé sur les écrans et à
protéger les jeunes des contenus nuisibles, il est nécessaire de mettre en
place une régulation proactive des technologies numériques. Cela implique une
coopération entre les gouvernements, les entreprises technologiques, les
parents et les éducateurs pour garantir que les technologies soient utilisées
de manière équilibrée et bénéfique.
En conclusion,
le smartphone pour les jeunes générations représente un enjeu sanitaire et
social majeur. Métaphoriquement, les contenus proposés sur les smartphones
peuvent être comparés à des friandises : séduisants et faciles d’accès, mais en
aucun cas essentiels à une alimentation saine et équilibrée. Or, tout comme un
organisme a besoin de nutrition équilibrée pour se développer correctement, les
jeunes doivent apprendre à consommer ces technologies de manière réfléchie. La
friandise numérique se doit donc d’être exceptionnelle, et non un apport
constant. Il est impératif de réintroduire des limites, tant qualitatives que
quantitatives, sur l’utilisation des smartphones. Les adultes ont la
responsabilité de guider les jeunes dans un usage équilibré, tout en prenant
conscience des dangers associés à une exposition excessive. Le smartphone peut
être un atout précieux, mais son impact dépend de la manière dont nous, en tant
que société, choisissons de l’encadrer.